A PROPOS DE KARL POLANYI (source Wikipedia)

Karl Polanyi  (1886-1964), est un économiste hongrois, spécialiste d'histoire et d'anthropologie économiques. Son livre majeur, « La Grande Transformation », souligne l'absence de naturalité et d'universalité de concepts comme l'« Homo economicus » et « le marché », souvent présentés comme évidents ou ayant une valeur et une signification uniques ou intemporelles. Vision erronée et utopique qui résulte selon lui du « désencastrement » de l'économie (opéré et réussi par le libéralisme) et de son autonomisation hors de toute société globale.

Un autre ouvrage, « La Subsistance de l'Homme », publié à titre posthume en 1977 sous le titre original anglais « The Livelihood of Man » , se veut une contribution à l'élaboration d'une histoire économique générale comparative rassemblant les recherches sur les sociétés antérieures à la « société de marché », qui est la nôtre depuis deux siècles seulement. S'inspirant des fondateurs de l'anthropologie comme des grands théoriciens de l'histoire économique, Karl Polanyi y déploie et précise sa conception originale en l'appliquant aux économies de l'Antiquité.

Son idéal – d'après son traducteur B. Chavance  – est celui d'un socialisme démocratique où les activités seraient soumises à une réglementation politique de la société conformément aux exigences de la « Liberté dans une société complexe » . Les marchés y auraient toute leur place pour les produits, mais non pour la détermination des revenus liés au travail ou à la terre ; la prétendue autorégulation de l'économie de marché serait remplacée par une combinaison plus équilibrée de la redistribution, de la réciprocité et de l'échange.

 « La grande transformation » : Résumé des chapitres 4-5 et 6 du livre

Chapitre 4 : Sociétés et systèmes économiques

Ce chapitre décrit différents types de systèmes économiques que l’on peut trouver dans différentes sociétés humaines. Il réfute en particulier la thèse d’Adam Smith (1776) selon laquelle l’homme aurait une propension naturelle au troc et à l’échange, et que l’économie de marché serait par conséquent l’inévitable système économique de toutes les sociétés humaines. Karl Polanyi la qualifie «d’interprétation erronée du passé mais annonciatrice de l’avenir ».Comme l’ont montré en particulier les travaux de l’anthropologue et sociologue allemand Richard Thurnwald, cités par Karl Polanyi, il existe d’autres modèles d’organisation économique :

Dans les trois cas, le système économique est enchâssé dans le mode de fonctionnement de la société, et ne nécessite pas d’organisation marchande (ni de monnaie). La production et la distribution ne sont pas motivées par le gain. Jusqu'à la fin du Moyen Âge en Europe Occidentale tous les modèles de systèmes économiques étaient organisés sur l’un de ces trois principes ou une combinaison des trois.

Même si des marchés isolés existaient, le modèle du marché et le comportement associé d’échange marchand (troc ou paiement), n’étaient pas donc pas naturellement présents dans les sociétés humaines : c'est bien une invention récente, construite et soutenue par toute une institution.

Chapitre 5 : L'évolution du modèle de marché

Ce chapitre aborde l’origine et l’évolution du modèle économique du marché et de ses principes de comportements économiques associés : le troc, le paiement en nature et l’échange.

La théorie économique classique suppose la propension de l’homme au troc pour expliquer l’origine des marchés locaux, puis du commerce extérieur et enfin de l’économie de marché. Au contraire, c’est avec le commerce extérieur ou commerce au long cours que l’on trouve les origines du modèle économique du marché mais ce modèle prenait place dans une sphère soit totalement intégrée, soit totalement séparée de l’organisation interne de l’économie.

Le commerce extérieur était avant tout le transport de biens peu fréquents d’une région à l’autre. Dans ses formes primitives, il était bien souvent davantage lié au modèle de réciprocité (ex: commerce kula) qu’au modèle du marché, et l’apparition de lieux spécifiques pour l’échange (le port, la foire) n’était pas systématique. Ce type de commerce était avant tout complémentaire (il fournissait simplement des biens là où ils n´étaient pas présents) et n’était donc pas concurrentiel.

De même, les marchés locaux étaient avant tout des marchés de voisinage, entre la ville et la campagne alentours. Bien que fréquents, ils avaient une place subalterne dans des modèles économiques basés sur la redistribution, l’administration domestique et/ou la réciprocité. L’organisation de la société visait même à limiter l’influence des marchés locaux sur le modèle dominant grâce à des réglementations contraignantes.

Jusqu’au XVe siècle, l’organisation des villes médiévales séparait complètement marchés extérieurs et marchés locaux : les bourgeois, maître-artisans et commerçants, excluaient le marchand étranger et son commerce "capitaliste" des marchés locaux où il serait entré en concurrence avec eux. Cela équivalait à empêcher la création d’un marché intérieur national concurrentiel.

Au XVIe siècle, le mercantilisme des États nations naissants va s’opposer à ces restrictions locales. Toutes les ressources nationales devaient être mobilisées vers le même objectif : la puissance de l’État. Cette politique nationale de marchandisation (d'une fraction croissante de la vie de la population), en s’attaquant aux particularismes et privilèges locaux, allait créer le marché intérieur ou national. Cependant, le mercantilisme, s’il permit de soustraire les marchés locaux des réglementations coutumières des villes, n’en continua pas moins à régir le marché national par des lois et des décrets. À cet égard, ce nouveau type d’organisation économique, au même titre que celui de l’époque féodale avec les marchés locaux et extérieurs, restait subordonné à l’organisation sociale.

Chapitre 6

À l’époque féodale, la production destinée à l’exportation, essentiellement de draps, était organisée dans les villes par de riches bourgeois. À l’époque mercantile, la production était organisée par le marchand capitaliste qui fournissait les matières premières (la laine) à des travailleurs à domicile, ne se limitant plus à la ville. Tant que la production ne nécessitait pas d’autre investissement que la matière première, le marchand pouvait organiser la production sans grand risque. Une baisse de la production (généralement due à un arrêt dans l’approvisionnement des matière premières) était plus préjudiciable à l’ouvrier qu’au marchand, tandis qu’une hausse de la production représentait un gain supérieur pour le marchand. L’introduction progressive de machines simples (métier à tisser, qui pouvait être propriété de l’ouvrier ou du marchand) permit d’augmenter la production, mais ne modifia pas fondamentalement la donne.

Par contre, l’introduction au XIXe siècle de machines complexes dans le cadre de la fabrique changea radicalement le rapport entre commerce et production. L’investissement nécessaire pour ces machines ne permettait plus de prendre les mêmes risques et n’était envisageable que si la production pouvait être garantie en continu. Dans une société commerciale complexe, cela supposait que l’on puisse se procurer de manière continue les éléments nécessaires à la production, entre autres et en particulier le travail, la terre et la monnaie, qui sont trois éléments indispensables à la production industrielle.

Cela signifiait concrètement qu’il fallait organiser des marchés pour tous les éléments nécessaires à la production, y compris des marchés pour pouvoir acheter le travail (dont le prix s’appelle salaire), la terre (dont le prix s’appelle loyer) et la monnaie (dont le prix s’appelle taux d’intérêt), comme n’importe quelle autre marchandise. Il importait également que l’État ne puisse pas intervenir sur ces marchés, les marchandises (y compris travail, terre et monnaie) devant trouver à se vendre et s’acheter au prix d’équilibre, c'est-à-dire suivant le rapport de forces entre vendeur et acheteur. En résumé, la production est dirigée par le marché autorégulateur, système économique qui n’est régulé que par les seuls marchés.

Or le travail (fourni par un être humain), la terre (fournie par la nature), et de manière moins évidente, la monnaie, ne sont pas des marchandises comme les autres : elles ne sont pas produites pour être vendues sur des marchés, et leur utilisation ne peut pas être celle de n’importe quelle autre marchandise. Le fait de soumettre à la loi du marché autorégulateur le travail (donc l’homme), la terre (donc la nature) et la monnaie (outil d'échange) revenait à soumettre la société entière à la loi du marché : le XIXe siècle fut le siècle de la naissance du marché autorégulateur, et par conséquent de la transformation de la société en régime de marché généralisé, c'est-à-dire capitaliste.